CHRISTO

CHRISTO

CHRISTO CHRISTO JAVACHEFF dit (1935- )

Se situant à la frontière de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, Christo est un des artistes du XX^e siècle qui aura le plus contribué à dynamiter les catégories en art et à rendre caducs les critères esthétiques censés gouverner son histoire.

Né en Bulgarie, à Gabrovo, dans une famille cultivée où l’on connaissait bien les travaux des constructivistes russes, Christo fit des études à l’Académie des beaux-arts de Sofia, sous le signe du réalisme socialiste alors en vigueur, et pratiqua une forme d’agit-prop qui consistait à mettre en scène, de façon flatteuse pour le régime, les paysages que traversait l’Orient-Express.

Son exil vers l’Ouest, via Prague où il s’intéresse au théâtre, et Genève, l’amène à Paris en 1958. Le climat artistique de l’époque lui permet de tirer profit de ses expériences passées. Toutefois, il n’«esthétise» plus les objets «pauvres», il utilise au contraire les objets de la société de consommation en leur imprimant un accent Art pauvre. L’Inventaire (1958-1960) est composé d’une série de boîtes de conserve, de chaises, de bouteilles — tantôt peintes tantôt contenant de la peinture —, d’objets empaquetés grossièrement. On reconnaît dans ces œuvres le climat du Nouveau Réalisme, mouvement qui a influencé durablement l’art de Christo. Depuis la fin des années 1950, il travaille avec sa femme Jeanne-Claude, associée à tous ses projets. En 1964, il s’installe aux États-Unis et, en 1973, il est naturalisé américain.

Christo témoigne aussi de préoccupations étrangères à ce mouvement: en 1962, Le Rideau de fer (un mur de 240 bidons de pétrole entassés et bouchant la rue Visconti) cherche à interpeller directement le public sur une réalité politique (le mur de Berlin). On peut y voir, par ailleurs, le point de départ de plusieurs thèmes qu’il développera par la suite: ceux de la frontière et de la limite (The Running Fence , Californie, 1972-1976, 165 000 m² de Nylon blanc, hauteur: 5 m, longueur: 40 km; Empaquetage du mur de Marc Aurèle , Rome, 1974; Les Îles entourées , Floride, 1980-1983, 60 ha de tissu flottant rose en polypropylène), celui du passage (Le Pont Neuf , Paris, 1975-1985), celui de l’obstruction (Le Rideau dans la vallée , Colorado, 1970-1972, 18 500 m² de Nylon orange). Bien loin des préoccupations mystiques d’Yves Klein, Christo va donner une réplique antithétique à l’exposition de ce peintre, centrée tout entière sur le thème du vide (Christo la vit en 1958, peu après son arrivée à Paris) à partir d’un aspect fragmentaire de cette exposition (une vitrine «vide» dans la galerie vide). Les Vitrines de Christo (1962-1963) sont vides elles aussi, mais éclairées de l’intérieur et presque totalement masquées par du papier d’emballage ou du tissu, provoquant chez le spectateur un intense sentiment de curiosité et de frustration éprouvé physiquement. Cette série sera amplifiée par celle des Devantures de magasins jusqu’en 1967.

Le vide est aussi le thème des multiples «empaquetages d’air» dont le plus célèbre est celui qui fut réalisé à l’occasion de la Documenta 4 de Kassel, en 1968, (90 m de hauteur, 11 m de diamètre, 5 600 m³ d’air enveloppé de plastique). À cette date, les projets de l’artiste sont conçus dans des dimensions colossales en accord avec l’immensité du Nouveau Monde où Christo s’est installé (1964); sa réputation a d’ailleurs franchi les frontières, et son imagination s’empare des sites et des monuments du monde entier (Empaquetage du Museum of Contemporary Art de Chicago , 1969; La Côte empaquetée , Little Bay, Australie, 1969).

Les projets de Christo, malgré leur démesure, ne sont pas ceux d’un rêveur: calquant sa méthode de travail sur celle qui préside aux réalisations du monde capitaliste, il sait jouer à fond des systèmes financiers, médiatiques, techniques, administratifs et même politiques.

À la fois metteur en scène, entrepreneur, chef d’orchestre et aventurier, Christo exhibe son travail et celui de ses aides tout au long du processus d’élaboration de l’œuvre, sans se laisser enfermer dans le piège du «conceptuel» (l’idée contenue dans le projet lui-même). Ses œuvres sont perçues comme des œuvres réelles («littérales», dit-il), comme des systèmes concrets perturbants par les décalages qu’ils font subir à la perception des objets et des paysages sur lesquels ils opèrent. Elles sont éphémères, ce qui ajoute à leur charme et crée un sentiment de «mal des lointains»: pour The Umbrellas , une multitude de parasols (3 100) de 6 mètres de hauteur, ouverts sur 18 kilomètres de côte au nord de T 拏ky 拏 et 25 kilomètres sur la côte ouest des États-Unis, la préparation a duré de 1984 à 1991 et l’opération proprement dite, conjointe sur les deux sites, n’a duré que trois semaines en octobre 1991.

Quant à l’empaquetage du Reichstag à Berlin, le projet remonte à 1971. Christo a emballé le bâtiment de toile gris argent en utilisant la même technique que pour le Pont-Neuf à Paris. Inauguré le 24 juin 1995, le Reichstag est resté empaqueté pendant une durée de quatorze jours. Ce projet, qui a été très controversé, a été accepté par les députés de l’Allemagne réunifiée en février 1994. Christo a annoncé que cet empaquetage serait vraisemblablement son dernier projet de ce type.

Ce qui subsiste de l’œuvre, dessins, photo-collages, livres, ne peut pas fonctionner comme reliques; ce sont en effet des éléments faisant partie de l’œuvre elle-même, utiles puisqu’ils sont vendus pour financer la réalisation du projet. Mais Christo perturbe en fait le système du marché de l’art puisque son œuvre elle-même est inachetable. Son art, social, s’adresse au public et a besoin de lui pour prendre tout son sens. Jouant sur le désir du public de voir malgré la résistance opposée par l’emballage, Christo use de la stratégie de la rétention: le moment de l’«apparition» de l’objet, du paysage, enfin érigé ou enveloppé, s’opère paradoxalement comme un «dévoilement», à la manière des mystères du Moyen Âge. À l’opposé du happening dans lequel le désir s’épuise dans l’action elle-même, le travail de Christo laisse un sentiment d’un possible ailleurs. Bien que sollicitant la participation corporelle du spectateur (déambulation, toucher, ouïe...) et s’appuyant sur le hasard et l’«involontaire beauté de l’éphémère», l’œuvre de Christo possède une incontestable qualité intemporelle et spirituelle.

Christo

(Christo Javacheff, dit) (né en 1935) artiste américain d'origine bulgare. Il intervient sur l'environnement en emballant des objets, des monuments (Pont-Neuf, à Paris, en 1985) ou des éléments de paysage pour modifier le regard et le comportement du public.

Encyclopédie Universelle. 2012.